Monday, October 26, 2009

Amour de Noël pour les personnes âgées et isolés



La maltraitance contre les personnes âgées prend de l'ampleur

Une violence qui n'est pas seulement physique mais aussi financière

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l est une actualité qui fait débat : celle des prisons. A l'inadaptation et à la vétusté des locaux, à la surpopulation carcérale, à l'augmentation des suicides, au malaise de l'administration pénitentiaire, on peut ajouter la situation de ces vieux prisonniers qui ont purgé leur peine et qui restent en prison, car on ne sait où les mettre.
Il y en aurait environ 500 pour lesquels la prison sert de maison de retraite, d'Etablissement d'hébergement pour prisonniers âgés dépendants (EHPAD). De maltraitants à une époque de leur vie, ils sont devenus maltraités, alimentant un peu plus le champ déjà bien rempli de la maltraitance.
Parallèlement à la maltraitance des enfants, celle des personnes âgées apparaît de plus en plus émergente. Surtout dans sa fréquence. Son risque d'augmentation, parallèle à celle des personnes âgées, est une réalité. Ainsi, en 2015, il est prévu, dans notre pays, plus de 2 millions de personnes âgées de plus de 85 ans. L'indigence des chiffres officiels n'a d'équivalent que leur caractère on ne peut plus flou. Les seuls chiffres dont on dispose sont issus des données d'Allô maltraitance des personnes âgées (ALMA) recueillies en 2001 !
On relève notamment que les cas de maltraitance sont plus fréquents au domicile : 67 %, contre 29 % en établissement d'hébergement. A ceci près que l'enquête se garde bien de préciser que sur les 2,1 millions de personnes de plus de 80 ans recensées à la même époque, seules 20 % étaient hébergées en institution. De même, en 2000, on retrouve une enquête départementale réalisée par une équipe hospitalière de Lille et, en 2005, une enquête qualitative nationale réalisée par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Dress) et, depuis, plus rien.
Etonnant domaine que celui de la maltraitance en général et des personnes âgées en particulier. On peut ainsi distinguer deux grands types de maltraitance : une macromaltraitance, celle de la violence, pas uniquement physique, qui demande plus à être reconnue que discutée, et une micromaltraitance. Celle-ci est bien plus insidieuse, quotidienne, d'une certaine façon perverse, car souvent inconsciente, mais surtout plus grave que la précédente, car quotidienne et tout aussi mortelle. Elle correspond à l'addition de multiples dysfonctionnements qui, pris isolément, paraissent anodins mais qui, additionnés, se révèlent délétères. Et, de toute façon, grevés d'un pronostic vital bien plus désastreux qu'une canicule même sévère.
Ces dysfonctionnements sont multiples : ils vont de la perte de la prothèse dentaire, d'une toilette faite à la va-vite, de médicaments laissés sur la tablette, l'initiative de leur prise étant laissée au patient, en passant par une macération dans des draps souillés par des urines et ou des matières fécales, une camisole chimique, des décalages horaires dans les soins d'hygiène, l'administration des médicaments, des repas et autres. La liste est longue... La synthèse de tous ces dysfonctionnements peut se résumer ainsi : ce sont des personnes qui sont prises en charge comme des " non-personnes ". Un type de maltraitance particulier est également à relever, car prenant de plus en plus d'importance et grave par ses conséquences létales : la maltraitance financière.
On estime ainsi que, dans les années à venir, une personne de plus de 65 ans sur cinq ou six en sera victime, les femmes et les sujets en perte d'autonomie en priorité. Aux Etats-Unis, on évalue à plus de 5 millions le nombre des victimes, chiffre à l'évidence sous-évalué dans la mesure où nombre d'entre elles se taisent soit par honte d'avoir été dupées, soit surtout par inconscience du préjudice. L'ampleur du phénomène a même conduit à faire passer la maltraitance financière du domaine du droit civil dans le champ du droit pénal. Il devient, par suite, légitime de se demander quelle peut être la signification d'une démarche dont a priori on peut avoir des difficultés à comprendre le sens dans la mesure où elle s'inscrit en contradiction avec une volonté affichée de prolonger la vie et le confort des individus. Il n'est alors pas sans intérêt de faire référence aux travaux psycho-comportementaux menés dans les années 1960, à l'université de Yale, par Stanley Milgram.
On connaît la célèbre expérience au cours de laquelle un sujet initialement réticent à envoyer, sur ordre, des impulsions électriques douloureuses (en fait il s'agit de pseudo-impulsions, mais le sujet ne le sait pas) à un autre sujet finit par véritablement prendre goût à l'envoi des impulsions et à la souffrance ainsi induite. Cette présentation certes résumée de l'expérience rappelle, néanmoins, la propension de l'être humain à être maltraitant pour ses semblables.
C'est dans ce sens que l'on peut dire que la maltraitance est une maladie sociale non infectieuse, mais contagieuse et transmissible. Qu'il est possible d'être inconsciemment maltraitant, ne serait-ce que par maladresse, mais que l'on peut aussi y prendre du plaisir. Qu'un ordre donné émanant d'une personne ayant autorité peut obérer tout sens moral et représenter un excellent alibi d'exécution. Une formation spécifique à la prise en charge des personnes âgées devient donc indispensable, un simple bénévolat étant appréciable mais bien insuffisant.
Or, quel que soit l'endroit de la planète, on s'aperçoit que les comportements de maltraitance sont ubiquitaires. L'instauration d'un contre-feu devient donc nécessaire. Son efficacité sera en grande partie dépendante de ses acteurs. Ces derniers peuvent être issus d'horizons professionnels variés. Toutefois, de par leur formation, leur territoire d'exercice, leur contact permanent et quotidien avec la population, avec sa souffrance, les médecins ont et doivent y occuper une place privilégiée.
Ce n'est pas forcément le cas actuellement. Mal préparés par des études inadaptées à une réalité sociale sans cesse en évolution, nombre de médecins se sentent désemparés devant les situations de maltraitance. Une pédagogie de diagnostic et de soins est certes nécessaire, mais elle ne représente qu'une formation incomplète si elle ne s'accompagne pas de l'apprentissage des mesures permettant la resocialisation des patients.
Il n'en demeure pas moins que les médecins possèdent de par leur exercice l'avantage d'un prérequis socioprofessionnel. Le devoir de signalement ne doit pas être vécu comme un acte de délation, mais comme la première étape d'une démarche thérapeutique efficace. Un certificat médical adressé au Centre communal d'action sociale (CCAS) de la mairie de secteur, structure qui dispose d'un espace service aînés, permet le déclenchement d'une enquête sociale. Complémentaire de cette démarche, une stratégie d'information va s'avérer intéressante.
Elle s'inscrit dans la relation médecin-patient. Elle a pour but de développer avec les familles une communication par laquelle il devient possible d'expliquer l'importance d'une osmose intergénérationnelle, par exemple. On a trop eu tendance à oublier ce rôle de lien social que la médecine a vocation à assumer. Il est temps qu'elle retrouve cette dimension humaine que l'essor technologique a eu tendance à lui faire oublier.
A quoi sert-il de soigner des personnes âgées si elles continuent à être confinées dans des conditions de maltraitance qui auront pour effet des rechutes, des récidives et, à terme, une évolution fatale dans la douleur et l'indignité ? Mourir, oui ; crever, non. Entre ces deux états certes identiques par le résultat, il existe une différence essentielle, celle d'une dimension éthique indispensable à la bonne santé d'une société.
La meilleure arme contre la maltraitance réside dans l'avènement de comportements adaptés, de l'éclosion d'une culture, notamment gériatrique, en se gardant d'oublier cette pensée d'André Malraux : " La culture, ça ne s'hérite pas, ça se conquiert. " Cette conquête ne peut que renforcer le lien social et donner tout son sens à cette réflexion de ce vieux sage africain, Hamadou Ampate Bâ : " La qualité d'une société se reconnaît à la façon dont elle traite ses vieux. " Et peut-être aussi ses vieux prisonniers.
Jacques Soubeyrand


Chef du service de médecine interne et gériatrie
à l'hôpital Sainte-Marguerite
de Marseille

1 comment:

  1. Quelle touchant et instruisant message qui nous est adressé par Jacques Soubeyrand. Je suis touché qu'il y ait un homme comme lui qui s'attache au sujet de la maltraitance pour la révéler afin que nous puissions oeuvrer à la faire diminuer; surtout en ce qui concerne les personnes âgés. Que Dieu nous donne de redonner une dimension humaine aux personnes âgées en nous aidant à concrétiser un programme à leur attention. Thierry

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